Conduite sur un fond de musique pétrolière, la guerre en Géorgie a largement été facilitée par la clique de George W. Bush et de Dick Cheney mais aussi de… John McCain. Commençons par le candidat républicain à la présidentielle. Le chef des affaires étrangères pour sa campagne s’appelle Randy Scheunemann. Dans le passé, le bonhomme a été un lobbyiste grassement rémunéré qui a travaillé pendant quatre ans pour le gouvernement de Géorgie. Le 17 avril dernier, Scheunemann a briefé le candidat républicain en vue d’un entretien que celui-ci devait avoir avec le Président Mikhaïl Saakashvili. Puis, selon le Washington Post du 13 août, Scheunemann a préparé pour McCain un communiqué de presse clamant un soutien sans faille à la Géorgie, contre la Russie. Le même jour, la société de lobbying Orion Strategies, dont Scheunemann est copropriétaire, a signé un contrat de 200 000 dollars pour continuer de guider la stratégie du gouvernement de Saakashvili à Washington, comme elle le fait depuis 2004. Et visiblement, ça rapporte gros : en quatre ans, ce lobbyiste de choc et son partenaire ont empoché 800 000 dollars de la Géorgie.
Scheunemann a aussi été le principal conseiller de McCain pour les questions liées au Caucase pendant des années avant de rejoindre son staff de campagne présidentielle. Et le moins que l’on puisse dire est qu’il a déteint sur le candidat : au Sénat, McCain a co-sponsorisé une résolution de soutien de la position de la Géorgie sur l’Ossétie du Sud ainsi qu’une autre poussant à l’admission de la Géorgie au sein de l’OTAN. Dans la même veine, McCain a également co-sponsorisé le « NATO Freedom Consolidation Act » de 2006, un troisième projet de loi qui a, lui, permis d’octroyer dix millions de dollars aux Géorgiens. Il va s’en dire que ces différents cadeaux découlent directement d’un lobbying féroce mené par l’Orion Stratégies de Scheunemann. Et cela ne date pas d’hier. Déjà, en 2005, Scheunemann, toujours bien payé par la Géorgie, a accompagné McCain dans la capitale géorgienne, Tbilissi, pour une rencontre avec Saakashvili. McCain avait alors lourdement soutenu les déclarations guerrières du président géorgien envers son voisin russe.
Chantre de l’invasion en Irak
Autre fait d’armes de Scheunemann : avant de briller sur les questions géorgiennes, il était surtout connu pour être l’un des néo-conservateurs ayant manigancé la guerre en Irak. Il était alors l’un des directeurs du « Project for a New American Century » (Projet pour un nouveau siècle américain), le fief des néoconservateurs. C’est ce même "Projet" qui a donné naissance à un célèbre manifeste réclamant le renversement de Saddam Hussein par Washington. Après avoir travaillé sur la première campagne présidentielle de McCain en 2000, Scheunemann s’est retrouvé à la tête du Comité pour la libération de l’Irak, un lobby créé pour se faire le chantre de l’invasion de l’Irak.
Avec du recul, il semble aujourd’hui que Scheunemann a joué un rôle similaire dans le déclenchement de la guerre en Géorgie. Il est inconcevable que son ami et ancien patron Saakashvili, aussi impétueux soit-il, ait ordonné l’invasion de l’Ossétie du Sud (il devait forcément savoir que les Russes réagiraient en employant la manière forte) sans avoir en tête la « certitude » que son pays serait soutenu par Washington. D’ailleurs, depuis que les chars russes ont pénétré en Géorgie le candidat McCain n’a eu de cesse de se livrer à des déclarations belliqueuses dénonçant une « Russie revancharde ». « Nous sommes tous des Géorgiens » a-t-il même proclamé avec ferveur ! Dans la course à la Maison-Blanche, l’intérêt politique pour McCain est évident : alors que Barack Obama cherche à tâtons une position plus mesurée, le Républicain, en ancien héros de guerre, peut jouer les « durs » et tenter, par comparaison, de faire passer Obama pour un « faible ». De plus, en brandissant le spectre d’une nouvelle Guerre Froide, McCain tente de faire oublier le leg de George W. Bush qui s’étend du désastre en Irak à l’effondrement de l’économie américaine. Et, il faut le reconnaître, avec un certain succès : déjà deux des principaux instituts de sondages — Gallup et Pew — montrent que pendant la guerre en Géorgie, Obama a perdu de la vitesse. Seuls trois points le séparent désormais de son rival. Il est à 46 % d’opinions favorables contre 43 % pour McCain.
Des considérations pétrolières
La politique du président Bush dans le Caucase a contribué à faire gonfler la tête de Saakashvili au point que ce dernier ait cru pouvoir envisager une guerre contre une Ossétie sécessionniste en toute impunité. Mais, vu de Washington, cela n’est qu’un dégât collatéral tant l’administration américaine prend soin de masquer les vrais objectifs de sa stratégie : le pétrole et plus exactement le gigantesque oléoduc Baku-Tbilissi-Ceyhan. D’une longueur de 1 767 kilomètres, il est connu sous le nom de BTC et a été conçu par Washington comme l’ultime méthode pour contourner la dépendance de l’Occident envers le pétrole et le gaz russe ainsi et iranien.
Le vice-président Dick Cheney, depuis qu’il s’est illustré comme Pdg du géant pétrolier Halliburton, a toujours battu le tambour en faveur du BTC. Soutenu par des investissements massifs réalisés par des multinationales du pétrole (dont Royal Dutch Shell, Unocal, British Petroleum), par Washington (qui a prêté 823 millions de dollars à la Turquie pour sa partie du BTC) et par la Banque Mondiale (dont les deux derniers présidents, Paul Wolfowitz et son chef actuel Robert Zoellick, étaient tous deux membres de la cabale néoconservatrice du Project for a New American Century), le BTC est en outre protégé par l’alliance militaire anti-russe du GUUAM (pour Géorgie, Ouzbékistan, Ukraine, Azerbaïdjan, Moldavie) bâtie par Washington. Rien que cela !
Israël est également de la partie car l’Etat hébreu envisage de lier le BTC à l’oléoduc Trans-Israël Eilat-Ashkelon. Objectif : faire d’Israël une force importante du marché global de l’énergie en s’alliant avec les intérêts pétroliers anglo-américains. Ce n’est pas une coïncidence si le terminus du BTC se trouve à côté de l’importante base aérienne américaine d’Incirclik, en Turquie. Notons enfin que l’artillerie russe est tout à fait capable d’atteindre l’oléoduc BTC depuis l’Ossétie du Sud… Comme l’a dit si bien l’économiste canadien Michel Chossudovsky dans son excellent livre « America’s War on Terrorism » (La guerre contre le terrorisme de l’Amérique), « la GUUAM est dominée par les intérêts pétroliers anglo-américains, et son but ultime est d’exclure la Russie des sources de pétrole et de gaz Caspienne, ainsi que d’isoler Moscou politiquement. »
Militarisation active de la Géorgie
Selon le New York Times, « les Etats-Unis ne se sont pas contentés d’encourager la jeune démocratie de Géorgie, ils ont militarisé l’Etat géorgien… Au plus haut niveau, ils ont aidé à réécrire la doctrine militaire géorgienne et ont entraîné ses commandants et son Etat-major. La Géorgie a, entre-temps, rééquipé ses forces militaires avec des armes en provenance des Etats-Unis et d’Israël, mais aussi avec des drones de reconnaissance, de la technologie de management des champs de bataille, des convois de nouveaux véhicules et des stocks de munitions… Le but public était de pousser la Géorgie vers les critères militaires d’un membre de l’OTAN. »
En avril dernier, Bush a milité pour faire admettre ce pays comme membre de l’organisation atlantique mais cette demande est tombée à l’eau suite à des pressions de Paris et de Berlin. Néanmoins, grâce aux cadeaux du Pentagone, aux attentions de Bush, et aux encouragements des va-t-en-guerre comme McCain et Scheuneman, Saakashvili qui, après tout, est arrivé au pouvoir suprême en Géorgie en partie grâce au soutien secret des Américains a donné, avec l’invasion de l’Ossétie du Sud, à Vladimir Poutine l’excuse rêvée pour punir l’un des principaux alliés de Washington dans le GUUAM et la région.
Selon le New York Times du 18 août, qui détaille les encouragements de Washington au chouchou Saakashvili, « Condoleeza Rice a dit au président géorgien l’année dernière : “Nous nous battons toujours pour nos amis” ». Le quotidien cite également un “haut responsable” de l’administration Bush pour qui « il est possible que les Géorgiens aient confondu ces encouragements avec quelque chose d’autre. » C’est le moins que l’on puisse dire…
Raconter tout cela ne revient pas à excuser l’action de la Russie mais personne n’a les mains propres dans cette histoire. Les Russes, les Géorgiens et les Ossètes ont tous commis des massacres et se sont conduit de façon abominable. Mais la guerre en Géorgie souligne le dangereux échec de la géopolitique pratiquée par l’Amérique de Bush. Exactement comme la guerre d’Irak, elle aussi inspirée par des considérations pétrolières.