Abdelaziz Bouteflika, 72 ans au compteur et la santé flageolante, sera élu jeudi 9 avril président de la République pour la troisième fois consécutive. Peu lui importe que son élection soit acquise d’avance faute de challenger sérieux et que le scrutin s’apparente à une farce démocratique. Formé à l’école du parti unique-FLN, « Si Abdelaziz », exige d’être bien élu. « Les scores électoraux à la soviétique ne le dérangent pas le moins du monde. C’est culturel », susurre une vipère qui a eu maille à partir avec lui dans le passé. « L’Algérie ne mérite-t-elle pas un président jeune, en bonne santé qui se soucie d’avantage de l’intérêt de ses citoyens que de son pouvoir personnel ? », s’insurge un autre opposant.
Déjà lors de sa première élection, en 1999, Abdelaziz Bouteflika réclamait à ses parrains militaires tirant alors les ficelles du théâtre politique algérien d’être élu au premier tour avec un score écrasant.
Une petite réécriture de l’Histoire au passage
Ses lois sur la Concorde civile (1999) et la Réconciliation nationale (2005) – qui ont permis de faire descendre du maquis bon nombre de djihadistes mais les amnistient, tout comme les responsables militaires de la lutte anti-terroriste – sont massivement validées par des référendums populaires. Le président n’hésite d’ailleurs pas à se présenter comme l’homme qui a ramené la paix après la folie terroriste des années 90 qui a coûté la vie à 150 000 Algériens. Quitte à réécrire un peu l’Histoire puisqu’il s’attribue des lauriers qui devraient revenir au général-président Liamine Zéroual (1994-1998). Ce dernier a en effet ouvert le premier la voie du repentir pour les islamistes avec sa loi de la Rahma (miséricorde) votée en 1995.
Plus récemment, Bouteflika voulait que la révision de la Constitution lui ouvrant les portes d’une présidence à vie soit actée par référendum populaire avant de devoir se rabattre sur un vote à main levée au Parlement le 12 novembre 2008. Selon les initiés, de longs mois de tractations avec le seul homme encore capable de lui tenir tête et d’équilibrer les rapports de force – le général Mohamed Médiène, alias Tewfic, patron de la Sécurité militaire (DRS) – n’avaient pas abouties. Mais, en contrepartie, Bouteflika avait gagné une levée de la limitation du nombre de mandats présidentiels dans le temps. Je te tiens, tu me tiens par la barbichette… Les problèmes économiques et la grogne sociale avaient fait le reste. Pas la peine d’appeler aux urnes dans une Algérie officiellement riche de 140 milliards de dollars mais où, mal vie oblige, deux à trois émeutes par jour éclatent en moyenne.
Rares bains de foule
Au cours de ses deux premiers mandats, le président a-t-il pris la juste mesure de la catastrophe sociale qui se profile en raison de l’incapacité du système à se rénover et plombe méchamment sa popularité ? On peut sincèrement en douter.
Ses allusions savamment distillées lors de sa campagne électorale au sujet d’une « amnistie générale des islamistes » montrent qu’il devrait consacrer le début de son troisième mandat à perpétuer la Réconciliation nationale et à tenter de neutraliser politiquement et financièrement le général Médiène et le DRS. Plutôt que de se consacrer aux chantiers économiques dont a pourtant urgemment besoin l’Algérie.
De toutes les façons, en dehors des campagnes électorales et de bains de foule qu’il, paraît-il, affectionne, le président sillonne peu le pays depuis l’attentat qui l’a visé en septembre 2007 à Batna, en pays chaoui.
Radio moquette sur sa vie privée
La raréfaction des apparitions publiques de Bouteflika fait régulièrement jaser sur son état de santé depuis, qu’en novembre 2005, il est arrivé en piètre état à Paris (officiellement il souffrait d’un ulcère hémorragique) et a été hospitalisé en catastrophe au Val de Grâce.
Autre sujet alimentant les conversations des beaux salons algérois : sa vie privée. Abdelaziz Bouteflika est un célibataire endurci qui ne s’est jamais marié. Et ce n’est pas faute d’avoir fait chavirer les cœurs comme celui de l’actrice américaine Jean Seberg (A bout de souffle). « Peu après l’indépendance, on pouvait souvent le voir à La Madrague [1] Il alignait les conquêtes et, avec ses beaux costards et ses yeux bleus, remportait un succès fou avec la gent féminine… », se souvient amusé l’un de ses compagnons de route de l’époque.
Si Abdelaziz Bouteflika n’a pas fondé une famille, il est en revanche resté très lié à la sienne, notamment à sa mère qui a élevé seule ses enfants dans la ville marocaine d’Oujda où elle était gérante de hammam, et à son frère Saïd. Sans oublier l’une de ses sœurs qui lui préparerait de bons petits plats. Saïd Bouteflika occupe même un poste clé de conseiller spécial à la présidence et sert en particulier de courroie de transmission avec la société civile et le secteur convoité des entreprises privées, ce qui ne manque pas d’attiser les jalousies.
« Sournois et rancunier » pour ses détracteurs
« Sournois et vicieux », « caractériel et imprévisible », « mégalomane et autosuffisant », « un homme de pouvoir à défaut d’être un homme d’Etat ». Les détracteurs d’Abdelaziz Bouteflika au sein du système ruminent leur colère et leur déception à voix haute. Et dénoncent ses penchants dictatoriaux avant d’énumérer ses défaillances présidentielles : ne pas lutter contre le chômage des jeunes qui oscille entre 30 et 40 %, ne pas favoriser l’émergence d’un tissu de PME et de TPE, bloquer l’émergence d’espaces d’expression citoyenne comme la création de syndicats indépendants…
A l’opposé, les amis du président parlent de « fidélité en amitié », d’un « diplomate hors pair », d’un « fin stratège politique ». Une chose est sûre, Bouteflika est un coriace qui a dû ronger son frein et su attendre son heure.
De chouchou du système à paria du FLN
Après avoir été le chouchou du président Boumédiène et son brillant ministre des Affaires étrangères (il a été nommé à 26 ans), il a fait les frais de la « déboumédiènisation » de l’Algérie entreprise par le remplaçant de Houari Boumediène décédé en 1978, Chadli Bendjedid.
Bouteflika est exclu du comité central du FLN en 1981 avec une poignée de camarades dont certains seront rappelés à ses côtés une fois qu’il sera président. S’ensuivent six années d’exil. Genève, l’Arabie Saoudite, Abou Dhabi… Abdelaziz Bouteflika voyage, sert de conseiller spécial à des émirs du Golfe mais cette traversée du désert lui pèse. Avec du recul, il la jugera « longue et douloureuse ».
Bouteflika se fait désirer
Toujours est-il que s’il rentre en Algérie en 1987, il prend son temps avant de donner suite aux sollicitations des « décideurs » galonnés. Selon sa biographie officielle, « pressenti pour occuper les fonctions de ministre-conseiller du Haut Comité d’Etat, instance présidentielle transitoire mise en place entre 1992 et 1994, puis de représentant permanent auprès de l’ONU, Abdelaziz Bouteflika décline ces propositions, comme il ne donnera pas suite, en 1994, aux sollicitations dont il est l’objet en vue de son accession aux fonctions de chef de l’Etat ». C’est Liamine Zéroual qui héritera du fardeau, en pleine guerre civile.
Le prix du baril de pétrole n’était pas assez élevé à l’époque et Bouteflika ne voulait pas mettre les mains dans le cambouis, pas plus qu’il ne voulait être associé aux méthodes éradicatrices employées par l’armée et les services secrets pour mater les maquis islamistes. La guerre civile ne sera pas éternelle et bientôt viendra le jour l’Algérie aura besoin d’un homme providentiel aux mains qui n’ont pas trempé dans le sang…
Mourir président
C’est ainsi que quatre ans plus tard, au dernier trimestre 1998, il ne dira pas non au général Larbi Belkheir, parrain en chef de l’Algérie des années 90, lorsque ce dernier lui téléphone pour lui dire de se « tenir prêt ». Selon certains, le président Zéroual n’avait même pas encore donné sa démission… Un tel schéma ne devrait pas se produire avec Bouteflika : il a prévu de mourir président et, puisqu’il l’a fait amender dans ce sens, la Constitution le lui permet.