Une révolte populaire agite le congrès américain. Le rejet du Plan Paulson pour le sauvetage de Wall Street le 29 Septembre dernier a des allures de jacquerie – qui mêle droite et gauche américaine – contre ce que le Prix Nobel de l’économie Joseph Stiglitz, dans un article pour l’hebdomadaire [1], appelait « une de ces escroqueries dont Wall Street est passé maître dans l’art d’en fabriquer ».
Baptisée « la maison du Peuple », la Chambre des Représentants est renouvelée tous les deux ans (à la différence des mandarins du Sénat, dont les mandats sont pour 6 ans). Une fréquence destinée, dans l’esprit des Pères fondateurs, à coller à l’opinion publique. Et, à seulement 36 jours des législatives du 4 novembre, les membres de la Chambre ont pu tâter de l’opinion publique quant au Plan Paulson. Avalanche de coups de fils, courriels et lettres furieuses. En moyenne, 200 mécontents pour un ravi du plan. Grosse côte. Jamais depuis la guerre au Vietnam, une décision gouvernementale n’avait provoqué une telle fronde.
Le plan des riches de Wall Street
Jamais, depuis les années 1920 non plus, les familles moyennes américaines n’avaient eu autant de mal à joindre les deux bouts. Leurs salaires ne suffisent plus pas à payer leur essence et leurs soins médicaux, rembourser leurs cartes de crédit… Chaque jour, leurs maisons perdent de la valeur ; chaque jour, saisies et banqueroutes constituent au pire leur quotidien, au mieux leur avenir…
Comme l’a détaillé récemment le chroniqueur économique du New York Times Paul Krugman, « l’inégalité de revenus, qui s’est accrue au moment même où les conservateurs avaient pris le pouvoir, est à un niveau qu’on n’a pas vu depuis le Gilded Age. » [2] Dans ce climat, le plan de George W. Bush a très vite été perçu comme un cadeau de 700 milliards de dollars (soit 5% de l’économie totale) à Wall Street, et destiné à sauver les riches amis du Secrétaire au Trésor Paulson, un ancien chef de Goldman Sachs (un des piliers de Wall Street). Le coût du plan, plus de 2300 dollars [3] pour chaque contribuable, a fini de provoquer l’ire populaire. Et le tout sans garantie que le Plan pourrait vraiment marcher.
Le scepticisme grandissant envers tout ce qui vient de l’administration Bush après tant de mensonges qui ont entraîné le pays dans ce que Stiglitz appelait, dans son livre récent « The Three Trillion Dollar War » (La guerre de trois mille milliards) en Irak, a fini par faire basculer une partie de l’opinion dans le camp anti-Paulson.
Selon la célèbre maxime américaine, « All politics is local » (toute politique électorale est locale), les membres de la Chambre des Représentants ont pu prendre la mesure de cette colère des électeurs lorsqu’ils retournaient dans leurs circonscriptions. Et ont transmis leur peur d’échouer en novembre à leurs chefs.
Un anti-bushisme qui gagne le camp républicain
C’est pourquoi, autant que possible, les leaders des deux partis à la Chambre avaient donné aux membres des circonscriptions considérées comme « vulnérables », la permission de voter contre le Plan Paulson ; tandis que ceux des circonscriptions considérées comme « safe » étaient censés voter pour.
Ainsi, des 34 démocrates sur la liste des « vulnérables » du Democratic Congressional Campaign Committee (le comité chargé de la réélection des congressistes démocrates), 19 avaient voté contre le Plan Paulson. Et des 24 membres de la liste des membres de la Chambre venus des circonscriptions dites « marginales » du National Republican Congressional Committee (le comité équivalent pour le parti de Bush), seulement 3 avaient voté pour le plan promu par leur président.
Mais laisser les « vulnérables » voter contre le si impopulaire Plan de sauvetage de Wall Street a donné énormément de poids aux progressistes démocrates et aux conservateurs durs républicains venus des circonscriptions relativement « safe ».
Ainsi, aux démocrates « vulnérables » qui votaient contre, s’ajoutait un nombre important de progressistes dont la réélection ne faisait guère de doute mais qui ne voulaient pas donner « un chèque en blanc » à Bush et Paulson. Parmi eux, une grande majorité des membres noirs, tous des démocrates des circonscriptions appauvries (rejetant du même coup le soutien du Plan émis par Barack Obama.) Autre reflet du mécontentement de l’électorat démocrate avec l’escroquerie Bush-Paulson : 3 des 4 membres démocrates de la Chambre qui sont en campagne cette année pour un siège au Sénat ont voté contre. Pourtant, dans les négociations entre les leaders des deux partis pour bricoler une mince majorité afin de faire passer le Plan, le Speaker de la Chambre Nancy Pelosi a promis de livrer 140 voix démocrates pour le Plan. Et elle l’a fait (avec 95 démocrates qui votaient contre).
Côté républicain, des conservateurs se sont révoltés contre le Plan Bush-Paulson et contre leur chef, John Boehner. Boehner n’était guère enthousiaste pour le Plan, qu’il appelait « sandwich de merde. » Et la rébellion était aiguillonnée par les animateurs conservateurs des talkshows à la radio qui dénonçaient le Plan comme « un pas vers le socialisme » et qui encourageaient leurs dizaines de millions d’auditeurs à protester. A la fin, deux tiers des républicains de la Chambre, 133 pour être exact, votaient contre le Plan Paulson, et seulement 65 pour. Le Plan était battu par un total de 228 voix contre 205, car Pelosi (qui craignait la vengeance des électeurs contre ses troupes) rechignait à forcer un vote favorable avec les seules voix des démocrates majoritaires.
Un tournant de la campagne présidentielle
Et puisque l’argent est toujours roi dans la politique électorale américaine, il est intéressant de noter que, selon une étude publiée le 30 septembre par le Center for Responsive Politics [une fondation qui surveille le rôle du fric dans les élections], les membres de la Chambre qui avaient voté pour le Plan ont reçu 51% de plus de donations pour leurs campagnes – pour un total de 800 000 dollars – que ceux qui avaient voté contre.
La révolte républicaine montrait la faiblesse du candidat présidentiel du Parti Républicain. John McCain, qui s’était parachuté à Washington six jours avant ce vote prétendait « suspendre » sa campagne afin de faire du lobbying pour le Plan. Il menaçait de ne pas participer au débat télévisé avec Barack Obama du 26 Septembre, si les deux partis ne se mettaient pas d’accord sur un plan de sauvetage (mais il y a eu un revirement le jour du débat). Et se vantait d’avoir été la force motrice derrière le deal bipartite pour le Plan Paulson avec son discours à Columbus dans l’Etat de l’Ohio quelques heures avant le vote désastreux au Congrès. McCain ne pouvait même pas livrer un seul des 8 membres de la Chambre des Représentants de son Etat d’Arizona : ils ont tous voté contre le Plan, y compris tous les républicains. Ainsi, McCain apparaissait comme un « tigre de papier. »
Un sondage du Washington Post-ABC publié le 30 septembre montre que 44% des électeurs blâment le Parti Républicain pour la défaite du Plan de sauvetage (contre 21% qui blâment le Parti Démocrate et 17% qui tiennent les deux partis pour responsables).
Et, comme l’écrivait l’excellent Howard Fineman, chef correspondent politique du magazine Newsweek, « Si Obama gagne, ce sera à cause de la crise économique actuelle, dont le Plan de sauvetage battu est la touche finale et le symbole politique. »