Deux discours de George W. Bush auront suffit à semer la zizanie dans le monde arabe. Le premier a été prononcé le 15 mai à la Knesset, le parlement israélien, à l’occasion des 60 ans de la création de l’Etat d’Israël, et le second une semaine plus tard, au World Economic Forum, organisé à Sharm el-Sheikh, en Egypte. D’une part, le président américain a annoncé un soutien illimité à Israël et, d’autre part, a décoché des flèches empoisonnées tous azimuths. « La région sera beaucoup mieux sans le Hamas et le Hezbollah », a-t-il déclaré en Egypte, avant de s’attaquer à l’Iran et la Syrie qui, selon lui, soutiennent « le terrorisme ». Dans le même registre, George W. Bush a vivement critiqué le régime égyptien sans le nommer, mais en faisant indirectement allusion au président Hosni Moubarak, qui fait emprisonner les leaders et les cadres de l’organisation des Frères Musulmans ainsi que du mouvement libéral « Kifaya » d’Ayman Nour.
Bush : les radicaux de tous poils lui disent merci
En dépit de ces amabilités américaines, les responsables arabes des Etats dits modérés et alliés de Washington ont surtout pris la mouche, à cause du désengagement remarqué de George W. Bush à l’égard des Palestiniens et de leurs droits. Le Président a fait comprendre que sa promesse au sujet de la création d’un Etat palestinien avant la fin 2008 pourrait ne pas être tenue. Résultat : son homologue égyptien, Hosni Moubarak, et le roi Abdallah II de Jordanie, ont estimé qu’« aucun pays arabe ne peut accepter des solutions qui seraient refusées par les Palestiniens ». De son côté, le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a menacé de démissionner si, d’ici la fin de l’année, les négociations de paix avec Israël n’avançaient pas.
Ces répliques au président américain devraient non seulement ramener le problème israélo-arabe à la case départ. Mais elles signifient surtout que, dans la région, les portes sont dorénavant ouvertes aux radicaux de tous poils. Fragilisant un peu plus les régimes arabes modérés, comme celui d’Hosni Moubarak, ces derniers clament déjà qu’ils avaient raison sur toute la ligne et plus encore sur les véritables positions américaines concernant les problèmes du Proche-Orient. Certains ont même décrété que Bush est plus Israélien que les Israéliens ! Ce qui ne manquera bien sûr pas d’inciter les faucons de l’Etat hébreu à rejeter toute proposition de paix.
L’Iran va avoir de nouveaux copains
Autre conséquence probable des propos de George W. Bush : des Etats arabes comme l’Egypte pourraient franchir le pas et se rapprocher de l’Iran. « Rien ne devrait nous empêcher aujourd’hui de le faire », a laissé entendre Jamal Moubarak, le fils du Raïs égyptien et influent leader du Parti national au pouvoir lors du forum de Sharm el-Sheikh. Pendant ce temps, l’un de ses lieutenants glissait perfidement que tout obstacle devrait être levé au sujet de la relance du programme nucléaire égyptien. Et même que les Russes n’attendaient que cela. Côté palestinien, on doit aussi s’attendre à l’ouverture du point de passage de Jéricho, situé entre les frontières de la bande de Gaza, gouverné par le mouvement islamique Hamas, et l’Egypte. En effet, les leaders du Hamas sont devenus des habitués du Caire, des bureaux du ministère égyptien des Affaires étrangères et des « Moukhabarates militaires », les services de renseignement du général Omar Soleïmane, successeur potentiel d’Hosni Moubarak.
L’« arrogance » de George W. Bush incitera également les Etats dits modérés – l’Arabie Saoudite, l’Egypte et la Jordanie –, à se réconcilier avec la Syrie. Quitte à en payer le prix : d’abord forcer la main à leurs protégés au Liban, à savoir les forces du 14 mars (la majorité) pour faire des concessions à l’opposition (Hezbollah, Amal), alliée de Damas. Ensuite, soutenir financièrement et politiquement le Hamas tout en obligeant le Fatah de Mahmoud Abbas à composer avec lui. Jamais cette nouvelle configuration régionale qui sert les intérêts des courants radicaux n’aurait pu voir le jour sans les dernières prises de positions de George W. Bush.