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L'honneur retrouvé du Capitaine Matthew Hoh-Un représentant du gouvernement US démissionne de la guerre afghane

Un cadre des Affaires Etrangères, ex-capitaine des Marines déclare qu'il ne sait plus pourquoi son pays combat en Afghanistan

"On" a demandé à Matthew Hoh de ne pas démissionner. Photo Gerald Martineau – The Washington Post

Ancien capitaine des Marines avec une expérience du combat en Irak, Hoh a également servi en uniforme au Pentagone et en tant que civil en Irak et au Département d'Etat. Depuis juillet dernier, il était le plus haut responsable civil US dans la province de Zabol, un foyer taliban.

Mais le mois dernier, dans un mouvement qui a fait des vagues jusqu'à la Maison Blanche, Hoh, âgé de 36 ans, est devenu le premier fonctionnaire US à donner sa démission, en signe de protestation contre la guerre afghane dont il a fini par croire qu'elle ne servait qu'à alimenter l'insurrection.

« J'ai cessé de comprendre et d'avoir confiance dans les objectifs stratégiques de la présence des USA en Afghanistan, », a-t-il écrit le 10 septembre 2009, dans une lettre de 4 pages [voir ci-dessous] adressée au chef du personnel du Département d'Etat. « J'ai des doutes et des réserves sur notre stratégie actuelle et sur la stratégie future planifiée, mais ma démission est fondée non pas sur le comment nous poursuivons cette guerre, mais sur son pourquoi et ses fins. »

La réaction à la lettre de Hoh a été immédiate. Des responsables US de haut rang, inquiets de perdre un officier exceptionnel qui risquait de devenir un détracteur écouté, lui ont demandé instamment de rester en poste.


Carte de la province de Zabol

L'ambassadeur US, Karl W. Eikenberry l'a emmené à Kaboul et lui a offer un poste parmi les cadres supérieurs de son personnel à l'ambassade. Hoh a refusé. Il a alors été ramené aux USA pour une rencontre entre quat'z'yeux avec Richard C. Holbrooke, le responsable spécial du gouvernement pour l'Afghanistan et le Pakistan.

« Nous avons pris cette lettre très au sérieux car c'était un bon officier, » a indiqué Holbrooke dans un entretien. « Nous avons tous pensé que vu le sérieux de sa lettre, vu l'engagement qu'il y a mis, et vu ses bons antécédents, nous devions lui prêter beaucoup d'attention. »

Bien qu'il ne partage pas la vision de Hoh sur le fait que la guerre « ne vaille pas le combat », Holbrooke a déclaré « Je suis d'accord avec la plupart de ses analyses. » Il a demandé à Hoh de rejoindre son équipe à Washington, en lui disant que « s'il souhaitait vraiment influencer la politique et aider à réduire le coût en vies humaines et en argent de la guerre,», pourquoi ne pas être « à l'intérieur du bâtiment, plutôt qu'à l'extérieur, où vous aurez sûrement pas mal d’attention [médiatique] mais où vous n'aurez pas le même impact politique ? »

Hoh a d’abord accepté l'argument et le poste, mais a changé d'avis une semaine plus tard. « Je reconnais les implications pour ma carrière, mais ça n'était pas la solution, » a-t-il déclaré dans un entretien vendredi [23 octobre], deux jours après que sa démission était devenue définitive.

« Je ne suis pas un baba-cool, un hippie fumeur de shit qui veut que tout le monde s'aime, » a indiqué Hoh. Bien qu'il ait déclaré que la période passée à Zabol était le « deuxième meilleur emploi de sa vie », son expérience dominante a été chez les Marines où beaucoup de ses meilleurs amis servent encore.

« Il y a plein de mecs qu'il est nécessaire de tuer, » a t'-il déclaré en parlant d'Al Qaïda et des Talibans. « Je n'étais jamais aussi heureux que quand notre équipe en Irak dégommait un groupe de ces types. »

Mais de nombreux Afghans, écrit-il dans sa lettre de démission, combattent les USA surtout parce que leurs troupes sont là – une présence militaire en augmentation dans les villages et les vallées où les étrangers, y compris les autres Afghans, ne sont pas les bienvenus et où le gouvernement national soutenu par les USA est corrompu est rejeté. Tandis que les Talibans sont une présence malfaisante, et qu'il est nécessaire de combattre Al Qaïda, basée au Pakistan, a t-il indiqué, les USA demandent à leurs troupes de mourir en Afghanistan pour ce qui est essentiellement une guerre civile lointaine.

Alors que la Maison Blanche se demande si elle doit déployer plus de soldats, Hoh a indiqué qu'il avait décidé de se prononcer publiquement parce que « je veux que les gens en Iowa, les gens dans l'Arkansas, les gens en Arizona, interpellent leurs députés et leur disent : « Ecoutez, je ne crois pas que ce soit la bonne chose à faire. »

"Je sais dans quoi je m'embarque... Je me rends compte de ce que les gens vont penser de moi, » a-t-il indiqué. « Je n'aurais jamais pensé que je ferai ce genre de chose. »

« Un courage rare »

Le parcours de Hoh – de Marine à expert en reconstruction et diplomate à protestataire contre la guerre – ne fut pas des plus faciles. Tout au long des semaines qu'il a passé à réfléchir et ébaucher sa lettre de démission, il a indiqué qu' « il avait eu, par moments, physiquement la nausée. »

Sa première ambition dans la vie était de devenir pompier, comme son père. Au lieu de cela, après sa remise de diplôme de l'Université de Tufts et un travail de bureau dans une maison d'édition, il s'engage dans les Marines en 1998. Après cinq années au Japon et au Pentagone, –à une période, au début de la guerre d'Irak, où il devint clair pour beaucoup de militaires que le conflit était tout sauf fini– il quitte les Marines pour rejoindre le secteur privé, et est recruté comme contractuel du ministère de la Défense en Irak. Ingénieur de combat [équivalent US de sapeur, membre  du génie militaire, NdE], il est envoyé à Tikrit, dans la ville natale de Saddam Hussein, pour y gérer les efforts de reconstruction.

"A cette période,", raconte Hoh, "j'employais près de 5000 Irakiens", distribuant des millions de dollars en espèce pour construire des routes et des mosquées. Son programme fut plus tard parmi les rares à recevoir les félicitations pour son succès par l'inspecteur général spécial US pour la reconstruction de l'Irak.

En 2005, Hoh accepte un emploi chez BearingPoint, un des principaux sous-traitants en management et en technologie du Département d'Etat et est envoyé au bureau pour l'Irak à Foggy Bottom. Quand l'effort US en Irak commence à se tourner vers le sud au début 2006, il est rappelé en service actif en tant que réserviste. Il assume alors le commandement d'une compagnie dans la province d'Anbar, où les Marines meurent par douzaines.

Hoh rentre aux USA au printemps 2007 avec des distinctions pour ce qu'un évaluateur des Marines appelle "un courage rare", une recommandation pour de l'avancement et avec ce qu'il reconnaîtra plus tard comme le syndrome de stress post-traumatique. De toutes les morts dont il a été le témoin, celle qui a le plus pesé sur lui s'est produite lors d'un accident d'hélicoptère à Anbar, en décembre 2006. Lui et un ami, le Commandant Joseph T. McCloud, se trouvaient à bord, quand l'appareil tomba dans les eaux agitées sous le barrage d'Haditha. Hoh nagea jusqu'à la rive, y posa ses 40 Kg de matériels et plongea à nouveau pour essayer de sauver McCloud et trois autres qu'il pouvait entendre appeler à l'aide.

C'était un bon nageur, raconte-t-il, mais le temps de les atteindre et "ils avaient coulé".

"Vous ne pouvez pas dormir"

Ce n'est que trois mois mois après être rentré chez lui, dans un appartement à Arlington, que tout lui est revenu de plein fouet. "Toutes les choses que vous entendez sur comment tout ça vous submerge, c'est vrai, ça se passe vraiment comme ça… Vous avez des rêves, vous ne pouvez pas dormir. Vous vous dîtes : "Pourquoi est-ce que j'ai échoué ? Pourquoi est-ce que je n'ai pas sauvé cet homme ? Pourquoi ses enfants doivent-ils grandir sans père ?"

Comme beaucoup de Marines dans les mêmes situations, il n'a pas cherché de l'aide. "La seule chose que j'ai faite," dit Hoh, "a été de picoler à mort."

Ce qui a finalement réussi à le ramener à la réalité, raconte-t-il, fut une émission de télévision, Rescue Me ["Sauvez-moi"] sur la chaîne câblée FX, traitant d'un pompier de New York qui s'est enfoncé dans la "culpabilité du survivant" et dans l'alcoolisme après avoir perdu son meilleur ami après l’ attentat du World Trade Center.

Il commença alors à parler à des amis et à faire des recherches sur le sujet, sur Internet. Il rendit visite à la famille de McCloud et "présenta ses excuses à sa femme… pour n'avoir pas fait assez pour le sauver," même si son côté rationnel savait qu'il avait fait tout son possible.

Hoh représenta l'armée aux funérailles d'un Marine de sa compagnie qui s'était suicidé après son retour d'Irak. "Mon Dieu, j'avais si peur qu'ils soient en colère," dit-il, parlant de la famille de cet homme. "Mais non, ils ne l'étaient pas. Tout ce qu'ils ont fait a été de me dire combien ils aimaient le corps des Marines américains."

"C'est quelque chose que je porterai toute ma vie", dit-il de son expérience en Irak. "Mais c'est aussi quelque chose que j'ai réglé, j'ai fait la paix avec tout ça."

A la fin de l'année dernière, un ami a dit à Hoh que le Département d'Etat offrait des contrats renouvelables d'un an pour des responsables en poste en Afghanistan. C'était une opportunité, pensa-t-il, d'utiliser les compétences en développement acquises à Tikrit, sous une nouvelle administration qui promettait une nouvelle stratégie.

"Chacun dans sa vallée"

Sur les photographies que Hoh a ramenées d'Afghanistan, il apparaît comme un grand jeune homme habillé en civil, avec une barbe taillée avec soin et un gilet de protection immaculé. On le voit avec Eikenberry, l'ambassadeur, lors de visites dans les province de Kunar au Nord et Zabol, au sud. Il se promène avec le gouverneur de Zabol, Mohammed Ashraf Naseri, il s'entretient avec des officiers de l'armée US et est assis à des tables de réunion, chargées de nourriture, avec des dirigeants de tribus afghanes. Sur une photographie prise sur une partie désolée du désert à la frontière pakistanaise, il pose à côté d'un panneau peint à la main en pachtou, indiquant la frontière.

Cette photographie de la frontière fut prise au début de l'été, à son arrivée à Zabol après qu'il eut passé deux mois à travailler en civil au quartier général de la brigade militaire à Jalalabad, à l'est de l'Afghanistan. C'est à Jalalabad que ses doutes ont commencé à prendre forme.

Hoh s’était vu confier la tache de chercher la réponse à une question posée par l’Amiral Mike Mullen, Président de l’Etat-Major interarmées, lors d'une visite au mois d'avril. Mullen voulait savoir pourquoi l'armée US avait opéré pendant des années dans la Vallée de Korengal, un endroit isolé près de la frontière orientale de l'Afghanistan avec le Pakistan où de nombreux Usaméricains ont été tués. Hoh conclut qu'il n'y avait aucune raison valable à ces opérations. Les gens de Korengal ne voulaient pas de leur présence ; l'insurrection semblait n’avoir gagné en force qu’ après l'arrivée des Usaméricains et le combat entre les deux forces s'était achevé dans une impasse sanglante.

Korengal et d’autres autres régions, dit-il, lui ont appris "combien l'insurrection était localisée. Je ne comprenais pas qu'un groupe dans telle vallée n'ait aucun lien avec un groupe d'insurgés à deux kilomètres plus loin. "Des centaines, voire des milliers de groupes dans tout l'Afghanistan, a-t-il fini par conclure,, ont peu de liens idéologiques avec les Talibans mais utilisent leur argent pour combattre les intrus étrangers et maintenir leurs propres bases de pouvoir locales.

"C'était vraiment un choc pour moi", dit-il. "Je pensais qu’ils étaient plus nationalistes que ça. Mais c’est très localiste. J’appellerais ça du valléisme [valley-ism]".

"Un assaut… continu"

Zabol fait partie "des cinq ou six provinces qui sont toujours les plus difficiles et les plus négligées," a indiqué un fonctionnaire du Département d'Etat. Kandahar, la patrie des Talibans, est au sud-ouest et le Pakistan au sud. L'autoroute 1, la liaison principale entre Kandahar et Kaboul et la seule route pavée à Zabol, coupe la province en deux. Cette année, a déclaré ce même fonctionnaire, la sécurité est devenue de plus en plus difficile à assurer.

Au moment où Hoh a rejoint l'équipe de reconstruction de la province (la PRT), dirigée par l'armée US à Qalat, le chef-lieu de Zabold, it-il : "J'avais déjà beaucoup de frustrations. Mais je savais à ce moment-là que la nouvelle administration allait … faire les choses différemment. Alors je me suis dit que j'allais leur donner une autre chance." Il se mit alors à lire tous les documents qu'il put trouver, sur l'histoire ancienne afghane, jusqu'à l'occupation soviétique dans les années 1980, en passant par la domination des Talibans dans les années 1990 et les huit années de l'engagement militaire US.

Frank Ruggiero, le dirigeant régional de la PRT régionale basée à Kandahar, dans le sud, considérait Hoh comme "très compétent" et le nomma au plus haut niveau parmi trois représentants civils US de la province. "J'ai toujours pensé beaucoup de bien de Matt", dit-il lors d'un entretien téléphonique.

Conformément à la politique de l’administration [US] de décentraliser le pouvoir en Afghanistan, Hoh a travaillé à augmenter les capacités politiques et l'influence de Naseri, le gouverneur de la province et d'autres responsables locaux. « D'un point de vue matériel, je ne pense pas que nous ayons réalisé grand chose, » dit-il rétrospectivement, mais « je pense avoir bien représenté notre gouvernement. »

Hoh a rapporté que Naseri lui avait dit qu'au moins 190 groupes locaux d’insurgés combattaient dans cette province largement rurale. « C'était probablement exagéré», dit Hoh, , « mais la vérité est que la majorité sont des résidents locaux qui sont « loyaux à leurs familles, leurs villages et leurs vallées et à leurs soutiens financiers. »

Les doutes de Hoh ont augmenté avec l'élection présidentielle du 20 août en Afghanistan, qui a été marquée par un faible taux de participation et une fraude généralisée. Il conclut sa lettre de démission en écrivant que la guerre « oppose violemment et férocement les Afghans laïques, urbains, éduqués et modernes à des ruraux religieux, illettrés et traditionalistes. C'est ce dernier groupe qui garnit les rangs de l'insurrection pachtoune. »

Avec « une multitude apparemment infinie de groupes locaux », écrit-il, l'insurrection « est alimentée par ce qui est perçu par le peuple pachtoune comme une agression continuelle, durant depuis plusieurs siècles contre la culture, les traditions et la religion des régions pachtounes, menée par des ennemis venant de l'intérieur et de l'extérieur du pays. La présence des USA et de l'OTAN et les opérations menées dans les vallées et les villages pachtounes, tout comme le fait que l'armée afghane et les unités de police sont dirigées et composées de soldats et de policiers non pachtounes, représentent une force d'occupation contre laquelle l'insurrection est justifiée. »

Les familles usaméricaines, écrit-il à la fin de sa lettre, « ont besoin qu’on leur assure à nouveau que leurs morts se sont sacrifiés à une cause digne de leur vie perdue, de l'amour disparu et des rêves non réalisés. Pour ma part, j’ai perdu tout espoir que de telles assurances puissent encore être données».

« A eux de résoudre leur problème »

Ruggiero a déclaré qu'il avait été déconcerté par la démission de Hoh mais il n'a fait aucun effort pour l'en dissuader. « C'est la décision de Matt et je l'honore et la respecte », dit-il. « Je n'étais pas d'accord avec son appréciation mais c'était sa décision. »

Eikenberry a exprimé un respect similaire mais a refusé, par la voix d’un assistant, de discuter « de problèmes personnels individuels . »

Francis J. Ricciardone Jr., l'adjoint d’Eikenberry, a déclaré qu'il avait rencontré Hoh à Kaboul mais qu'il lui avait parlé « confidentiellement. Je le respecte en tant qu'homme réfléchi qui a rendu un service désintéressé à notre pays, et je pense que la plupart des collègues de Matt partageront cette estimation favorable de lui, quelles que soient nos différences de perspectives politiques ou programmatiques. »

Cette semaine, Hoh doit rencontrer Antony Blinken, le conseiller à la Sécurité nationale du vice-Président Biden, à sa demande.

Si les USA devaient rester en Afghanistan, a indiqué Hoh, il conseille d'opérer une réduction des forces de combat.

Il suggère également de fournir plus de soutien au Pakistan, d'améliorer la communication US et ses compétences en propagande pour égaler celles d'Al Qaïda, et d'effectuer plus de pression sur le Président afghan, Hamid Karzai pour assainir la corruption du gouvernement ; toutes ces options étant discutées dans des délibérations à la Maison Blanche.

« Nous voulons avoir une certaine gouvernance là-bas et nous avons des obligations pour éviter un bain de sang, » dit  Hoh. « Mais il faut tracer une limite quelque part et dire que c'est à eux de résoudre leur problème. »



 



06/12/2009
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