Des corps à moitiés brûlés, les six membres d’un même clan : les Ohrenko, poignardés et égorgés des grands-parents jusqu’au nourrisson de trois mois. Le fait divers choque Israël en octobre dernier. Un parfum d’Europe de l’Est, un mode opératoire digne des mafias caucasiennes, l’affaire est entendue : la famille de Rishon Letzion, en banlieue de Tel-Aviv, a été victime d’un règlement de compte mafieux. Et pourtant, la vérité sur ce sextuple meurtre apparaît très vite beaucoup plus terne : il ne s’agit en réalité « que » de la vengeance solitaire d’un employé alcoolique. Les chroniqueurs judiciaires masquent mal leur déception.
Mafia russe en terre promise
Le terme un peu fourre-tout de « mafia russe » a fait irruption en Israël dans les années 90, dans un pays emporté par l’arrivée massive de 1.1 immigrants de l’Ex-URSS. Sordide et invisible mais finalement cette face cachée, dans un Etat en guerre permanente contre ses voisins, est presque rassurante : David Ben-Gourion avait bien prédit qu’« Israël sera un pays normal le jour où il aura ses voleurs et ses prostituées ». Le stéréotype du Russe mafieux et de la prostituée blonde sibérienne retrouve dans l’Etat hébreu un second souffle, le « sabra » (Israélien de souche) supportant mal une communauté repliée sur elle-même préférant le cyrillique à la langue biblique.
Plus que les cadavres anonymes, la sirène d’alarme est tirée avec les grosses valises à billets. Dans les années 90, Israël apparaît comme le paradis pour le blanchiment d’argent. Heureuses de voir arriver de nouveaux immigrants par milliers, les banques israéliennes ferment les yeux. Les Russes auraient ainsi blanchi entre 5 et 10 milliards de dollars dans les quinze ans qui suivent la chute du communisme. Et parmi eux, des « vory v’zakone » (les voleurs dans la loi) illustres aux CV internationaux : Gregory Lerner, Mikhaïl Tchernoï, Arcadi Gaydamak… En 1995, le Premier ministre de l’époque, Yitzhak Rabin, met sur pied une unité spéciale de la police estampillée « mafia russe » : le SICU. Moshé Mizrahi a été l’une de ses têtes d’affiche, aujourd’hui mise au placard. Le policier lorgne très (trop) vite vers le gros gibier : « On m’a accusé de poursuivre d’honnêtes hommes d’affaires par pure discrimination ethnique », explique-t-il aujourd’hui un peu désabusé.
Les casseroles de Gaydamak en Israël
Parmi ces personnages au parcours supposé « virginal » : Arcadi Gaydamak. L’Israélien d’origine russe aime revisiter sa biographie et explique à l’envi avoir fait fortune grâce à son activité d’interprète. Pourtant les casseroles sont lourdes : 6 ans de prison dans l’affaire de l’Angolagate à Paris, des poursuites en cours pour blanchiment d’argent (120 millions d’euros) à Jérusalem. Gaydamak a payé sa fuite d’Israël vers Moscou à prix d’or : 2.5 millions de dollars en novembre 2008, juste après sa défaite aux municipales de la ville sainte. Mais malgré un business plutôt juteux, la « mafia russe » fait aujourd’hui beaucoup moins parler d’elle que les Corleone locaux : les clans Alperon, Abutbul, Abergil… Les règlements de compte avec armes anti-char se produisent en plein jour au cœur de Tel-Aviv. Le 17 novembre 2008, Yaacov Alperon, l’un des parrains de la « mafia sabra », n’a même pas eu le temps de changer de polo après son audience au tribunal. La mafia russe préfère, elle, la loi du silence.