C’est bien connu : le royaume enchanté du Maroc ne plaisante pas avec le conflit du Sahara occidental qui l’oppose depuis 1975 au Front Polisario, un mouvement indépendantiste soutenu par l’Algérie. Situés en première ligne depuis le cessez-le-feu de 1991, les diplomates du roi Mohammed VI ne lésinent pas sur les moyens pour faire rallier aux thèses marocaines sur le Sahara occidental des pays étrangers. A savoir, faire valider par les Nations Unies et la communauté internationale l’annexion de ce territoire désertique au royaume chérifien.
C’est notamment le cas de l’ambassadeur du Maroc en France, le discret Fathallah Sijilmassi. Le 6 février 2008 (cf doc 2), l’Excellence se fend en toute confidentialité d’un courrier alarmiste aux consuls généraux du Maroc en France. Son sang n’a visiblement fait qu’un tour lorsqu’il a appris que le député communiste de Seine-Maritime Jean-Paul Lecoq organise des réunions et milite au Parlement pour y créer un « groupe d’étude » sur le Sahara occidental. Pour l’ambassadeur, pas de doute, cette initiative doit être tuée dans l’œuf ! « Il est à souligner que cette rencontre vise la création au sein de l’Assemblée Nationale d’un « groupe d’étude » sur le Sahara, dont la finalité est d’en faire un instrument pro-polisario », écrit-il à ses consuls. Autant dire un crime de lèse-Maroc… « Je vous serais gré de bien vouloir entreprendre, dans les plus brefs délais, les démarches nécessaires auprès de l’ensemble des Députés de votre région, afin de les sensibiliser sur la nécessité de ne pas cautionner la création d’un tel groupe d’étude et de contrecarrer cette initiative particulièrement hostile aux efforts actuellement menés par le Maroc et les Nations Unies pour un règlement définitif du différend sur le Sahara », poursuit l’ambassadeur qui s’offre même le luxe de dispenser des conseils pratiques à ses hommes. « Je vous prie de bien vouloir mettre à profit la présence sur le terrain des Députés-maires, actuellement en pleine campagne des municipales », écrit-il. A l’époque, la France était en effet à un mois du premier tour des élections municipales organisées en mars dernier.
Deux députés UMP mordent à l’hameçon marocain
Visiblement, le courrier de Fathallah Sijilmassi a porté ses fruits. Quatre mois plus tard, le 4 juin 2008, l’ambassadeur se fend d’un second courrier aux consuls généraux où il les félicite. Et pour cause ! Deux politiques français — Jean Roatta, député UMP de Marseille et président du groupe d’amitié France-Maroc à l’Assemblée Nationale ainsi que Paulette Brisepierre, sénatrice UMP des Français à l’étranger et présidente du groupe d’amitié France-Maroc au Sénat — ont mordu à l’hameçon marocain. Selon l’ambassadeur, ils ont aimablement envoyé une lettre « à l’ensemble des membres des groupes d’amitié France-Maroc aux deux Chambres » soutenant le royaume enchanté. On a récupéré un exemplaire de la missive rédigée par Jean Roatta. En date du 29 mai 2008, le député y donne du « Cher ami » à ses confrères et ne mets pas de gants pour défendre le Maroc : « Vous trouverez en pièce jointe une note explicative de la démarche marocaine qui, je l’espère recueillera votre assentiment. Vous pouvez témoigner de votre soutien à cette proposition en retournant le coupon-réponse ci-joint ». Rien que cela !
De grandes ambitions pour les politiques français
Difficile de savoir si nos deux politiques tricolores ont fait des émules parmi leurs congénères. Ils ont en tout cas fait le bonheur de Fathallah Sijilmassi qui nourrit du coup de grandes ambitions pour les politiques français. « Afin de donner l’ampleur politique la plus importante à cette initiative, je vous saurais gré de bien vouloir entreprendre les démarches nécessaires auprès des Députés et Sénateurs de votre circonscription afin de les inciter à être co-signataires des lettres de Monsieur Roatta et Madame Brisepierre », écrivait-il, la plume alerte, à ses consuls le 4 juin dernier. Si l’entrisme est une pratique vieille comme le monde et le lobbying sur le Sahara occidental une spécialité du royaume enchanté du Maroc, il n’en reste pas moins que l’ambassadeur marocain opte pour la discrétion. On ne sait jamais et il convient de protéger les amis du royaume… Ainsi pouvait-on lire dans sa prose du 4 juin : « Il est évident que la démarche faite concernant les lettres de Monsieur Roatta et Madame Brisepierre doit se faire de la manière la plus subtile possible car la réussite de cette opération repose essentiellement sur le fait qu’il s’agit d’une initiative interne aux institutions législatives françaises et qu’il ne conviendrait pas de donner l’impression d’imposer ou d’indisposer ». Sans blague.