Pourquoi j’ai tenté d’arrêter Avigdor Lieberman à Bruxelles
Alors que le ministre des Affaires étrangères israéliens allait commencer sa conférence de presse, ce 22 janvier à Bruxelles, je me suis dressé devant lui et j’ai crié : « Mr Lieberman, ceci est une arrestation d’un citoyen. Vous êtes accusé du crime d’apartheid. Veuillez me suivre jusqu’au bureau de police le plus proche. » J’étais sur le point de préciser l’accusation quand deux agents de la sécurité m’ont écarté de Lieberman et de son regard insondable en furie. Alors j’ai crié : « Palestine libre », et « Israël est un État d’apartheid », pour marquer les idées-forces.
Mon action aboutira probablement à la confiscation du badge qui m’a été remis pour avoir accès aux sièges des principales institutions de l’Union européenne. La plupart des journalistes avec lesquels j’en ai discuté ces dernières heures semblent considérer cela comme un gros problème. Pour moi, c’en est un futile. Les Palestiniens sont privés de leur liberté tous les jours à cause de la politique poursuivie par Lieberman et ses collègues au gouvernement. Comparées aux restrictions sur les déplacements causées par les check-points militaires en Cisjordanie ou au blocus médiéval de la bande de Gaza, la perte de ma carte de presse n’est pas de grande conséquence.
La décision de me lever contre Lieberman a été prise à la suite de ma récente visite dans les territoires palestiniens occupés. En passant tout un vendredi après-midi dans le secteur de Silwan à Jérusalem-Est, je me suis senti comme ramené à Derry ou à Belfast, au début des années soixante-dix. J’ai été choqué par la façon dont la police et les soldats israéliens, avec tout l’équipement antiémeute, tiraient leurs lacrymogènes sur les jeunes garçons qui ne faisaient rien de plus sinistre que de jeter des pierres sur les forces d’occupation.
C’était la première fois que je venais à Silwan depuis près de deux ans, et il y avait une nette prolifération de drapeaux israéliens par rapport à ma précédente visite. C’était là le signe certain que les Palestiniens qui vivaient à Jérusalem depuis moult générations étaient aujourd’hui forcés de quitter leurs maisons pour faire la place aux colons israéliens. La dépossession se déroule de telle sorte qu’un groupe extrémiste, qui se nomme Elad, peut concrétiser ses projets de parc archéologique de la Cité de David. Avec la bénédiction des dirigeants de l’État israélien, Elad estime que les colons ont plus de droits à vivre dans ce secteur que ses actuels habitants, parce que des vestiges d’un palais royal vieux de trois mille ans auraient été découverts à Silwan.
L’apartheid est le mot le plus juste auquel je pense pour qualifier les machinations de ces colons et de leurs amis au gouvernement. Bien que ce mot, apartheid, soit synonyme d’Afrique du Sud, il est reconnu comme un crime par les Nations unies depuis 1973. La convention concernée des Nations unies (Convention sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid) se réfère à la domination d’un groupe racial sur un autre. Israël a toujours été destiné à être un État basé sur la notion délétère de suprématie raciale ; Thédor Herzl, le « père fondateur » du sionisme politique, a écrit en 1896 qu’il espérait mettre en place « un avant-poste de la civilisation contre la barbarie ».
Plus d’un siècle plus tard, Avigdor Lieberman fait rentrer dans les faits la proposition de Herzl. Durant les deux ans que Lieberman et son parti, Yisrael Beiteinu (Israël notre maison), viennent de passer au gouvernement, une vingtaine de lois et projets de lois ont été déposés devant le parlement israélien, la Knesset, avec l’objectif spécifique de souder l’apartheid sur Israël. Le parti veut que les citoyens palestiniens d’Israël - qui représentent environ un cinquième de la population du pays - prêtent un serment d’allégeance à un « État juif et démocratique », il prend des mesures énergiques contre les commémorations de la Naqba (le nettoyage ethnique qui a conduit à la création d’Israël dans les années quarante), et limite les droits des prisonniers palestiniens à avoir un avocat. La semaine dernière, la Knesset a tenu un débat sur la proposition de déclarer illégal le militantisme qui promeut un boycott des institutions et des produits israéliens.
Si vous avez le sentiment d’un déjà vu en lisant ces mesures privilégiées par Lieberman, c’est parce qu’elles sont pour beaucoup semblables à celles introduites par la minorité blanche au gouvernement en Afrique du Sud pendant l’ère de l’apartheid.
Non seulement l’apartheid est reconnu comme un crime par les Nations unies depuis les années soixante-dix, mais il a été aussi plus récemment inclus dans les infractions visées par le Statut de Rome (pdf - article 7 - j) qui institue la Cour pénale internationale. L’Union européenne est, théoriquement, est un fervent partisan de la CPI, quoique ses représentants pour la plupart n’ouvrent guère la bouche à propos de l’apartheid israélien et sa consolidation.
L’apartheid n’est pas aujourd’hui le seul crime, à mon avis. Bertrand Russel, ce grand intellectuel britannique, s’est référé autrefois au crime du silence. C’est ce crime que commet l’Union européenne quand elle soutient Lieberman, comme elle l’a fait cette semaine à Bruxelles. Si nos politiciens restent silencieux, alors, il revient aux gens ordinaires de crier aussi fort qu’ils le peuvent.
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