Il existe, chez France 3, un délicieux rituel. Chaque mois, les délégués du personnel de la rédaction nationale sont autorisés à poser des questions à la direction de cette chaîne du service public. Les réponses sont dans un premier temps formulées oralement, en direct, puis couchées sur du papier pour plus de transparence.
C’est ainsi que le 10 avril 2008, les délégués du personnel, dits « DP » chez France 3, posent successivement deux questions aux membres de la direction présents. Première d’entre elles : « Le 22 octobre 2007, Nicolas Sarkozy effectuait son premier voyage d’Etat au Maroc. Un membre de la direction faisait-il partie de la délégation ? Si oui, à quel titre, et qui a pris en charge les frais de séjour ? » Deuxième question lancée dans la foulée : « La direction a-t-elle subi des pressions de la part de certaines autorités marocaines voulant empêcher la diffusion d’informations embarrassantes pour le royaume ? » Le compte-rendu écrit de cette réunion mentionne que « le déroulement de la réunion des délégués ne nous (c’est la direction qui parle) permet pas de répondre à ces questions. Les propos tenus par un élu lors de cette réunion ont nécessité que le Directeur adjoint de la rédaction lui demande de cesser son intervention compte tenu des insinuations intolérables qu’elle contenait. Il convient de rappeler que la réunion des délégués du personnel n’est pas un lieu où tous les propos peuvent être tenus sans aucune conséquence. »
« Ces rencontres font partie intégrante du métier de journaliste »
Etonnant quand on sait que le Directeur adjoint de la rédaction cité, en l’occurrence Jacques Bayle, a répondu oralement aux délégués du personnel qu’un membre de la direction de la chaîne avait bien accompagné Nicolas Sarkozy au Maroc. Qu’il s’agissait en l’occurrence du directeur de l’information de France 3, Paul Nahon. Mais, surprise, selon les personnes présentes, Jacques Bayle a précisé que le voyage de Paul Nahon avait été payé par le… royaume du Maroc ! Des propos que l’intéressé aurait même confirmé lors d’une réunion avec la Société des journalistes (SDJ) qui lui a aussi posé la question.
Histoire d’inscrire dans le marbre le fait que le directeur de l’information d’une chaîne publique se fasse inviter par le Maroc alors qu’un président français y effectue un déplacement officiel, les délégués du personnel sont revenus à la charge un mois plus tard, lors de la séance de questions-réponses avec la direction suivante. C’était le 20 mai dernier, en présence cette fois de Paul Nahon. Le compte-rendu écrit de la réunion laisse tout simplement pantois : « la direction a indiqué que le membre de la direction invité au Maroc en octobre 2007 était Paul Nahon. Jacques Bayle a précisé que Paul Nahon avait accepté l’invitation au même titre que lorsque d’autres responsables de rédaction de presse écrite ou audiovisuelle sont conviés par des chefs d’Etat ou de gouvernement à des dîners officiels ou des rencontres informelles. Ces rencontres font partie intégrante du métier de journaliste. » On se pince pour y croire !
Mais que ceux qui ont encore une éthique se rassurent : le séjour marocain de Paul Nahon a été gâché par sa propre rédaction. En effet, au moment même où Nicolas Sarkozy arrivait au royaume de Mohammed VI, le 22 octobre dernier, France 3 a diffusé un scoop annonçant que, dans le cadre de l’affaire Ben Barka, le juge Patrick Ramaël, en charge de l’instruction côté français, venait de délivrer des mandats d’arrêts internationaux contre d’importantes personnalités marocaines. Dont le patron de la Gendarmerie Royale, le général Hosni Benslimane. Chez France 3, quand le chat n’est pas là, les souris dansent…