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Abdel ou la justice au quotidien

A la 23ème chambre de Paris, pour les comparutions immédiates. Audiences du 18 novembre 2008.

C’est un délit absurde et inutile que la 23ème chambre s’apprête à juger. Abdel, 32 ans, comparaît pour « vol aggravé en récidive ». Le 11 novembre, il est appréhendé en flagrant délit de revente sur la voie publique. Un recel pas du genre facile, puisqu’Abdel propose aux passants un terminal de carte bleue inutilisable en l’état et un appareil « pour mesurer le diabète ». Abdel est toxicomane et admet volontiers que, ce jour-là, il n’était « pas vraiment dans son assiette ».

Pour le lecteur de glycémie, le prévenu nie le vol : « Je l’ai acheté sur eBay » est l’explication qu’il donne à la cour. Pour le terminal de carte bancaire en revanche, il assume. Il l’a bien volé la veille de son arrestation à une pharmacienne de son quartier, dans le XIIIème arrondissement de Paris. En même temps, Abdel n’a pas d’autre choix que d’avouer. Son délit est signé.

« Vous savez qu’il existe une loi sur la récidive ? »

Ce jour-là, l’homme venait se fournir en Subutex, traitement de substitution pour de nombreux toxicomanes. Il présente une ordonnance et une carte Vital (non falsifiées) à la pharmacienne, qui se retire dans son arrière-boutique pour photocopier la pièce d’identité du prévenu. Laissé seul, Abdel aperçoit le terminal de carte bleue, l’empoche « sans trop réfléchir », et ressort de la pharmacie sans demander son reste. L’avocat de la défense ne manque pas de souligner l’incohérence de ce vol : « C’est un moyen de débit qu’il a volé ! C’est inutilisable. Sans le socle, on ne peut absolument pas s’en servir – et en plus, l’appareil est clairement identifiable. La police n’a eu aucun mal à retrouver la commerçante ».

Les antécédents d’Abdel courent sur six pages, avec pas moins de quatorze mentions sur son casier judiciaire : « Votre parcours est inquiétant, souligne le président de la cour. Vols, vols avec violence, trafic de stupéfiants… Vous sortez de prison le 8 septembre, et le 11 novembre, vous volez déjà un terminal de carte bancaire. Vous savez qu’il existe une loi sur la récidive ? C’est idiot, vous risquez de nouveau la prison… » Abdel, hagard : « Mais la prison, Monsieur le Président, ça ne sert à rien ». Plongé dans le dossier du prévenu, le président acquiesce presque : « Mais oui, mais c’est difficile… Quels sont vos projets pour l’avenir ? » Abdel répond simplement qu’il veut « voyager à Briançon » où vit sa mère, malade à l’heure actuelle.

« C’est kafkaïen, ubuesque ! »

Sans surprise, le procureur fustige le parcours de « multirécidiviste » d’Abdel et regrette qu’une pharmacienne « fasse encore les frais des dérives d’un toxicomane ». Après ces réquisitions, l’avocat de la défense s’emporte : « C’est un vol simple, un larcin, et le procureur demande un an ferme pour cela ! C’est kafkaïen, ubuesque ! On a déjà vu un voleur qui laisse sa pièce d’identité sur place ? Il n’a même pas attendu d’obtenir son Subutex en échange de son ordonnance. Clairement, on est face à quelqu’un qui n’a pas toute sa tête. Autant le laisser s’éloigner de la capitale et partir auprès de sa famille. Un sursis, une mise à l’épreuve et une obligation de suivre des soins là-bas, OK, car il a volé. Mais la prison ne l’aidera en rien ».

Après délibérés, le verdict tombe : un an de prison dont neuf mois de sursis et deux ans de mise à l’épreuve. Le tribunal ordonne le mandat de dépôt. C’est le retour sous les verrous pour Abdel.



21/11/2008
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