Des siècles de mensonge au nom du christianisme
L’analyse d’un faux selon Bart D. Ehrman
Dissident Voice, Walter C. Uhler, 14 mai 2011
« La Bible est un ouvrage plus lu et examiné que tout livre ayant jamais existé. »
Thomas Paine
Le professeur Bart Ehrman a fait une chose que plus de 99 pour cent de chrétiens ont omise. Il a consacré une grande partie de sa vie adulte à une étude sérieuse du Nouveau Testament.
Ehrman commença ses études à l'Institut Biblique Moody, un collège biblique fondamentaliste, avant d’achever ses études universitaires au Wheaton College. À Wheaton, Ehrman fit ce que tout étudiant sérieux du Nouveau Testament devrait faire, il étudia le grec. Tel qu’il l'explique dans
Forged: Writing in the Name of God–Why the Bible’s Authors Are Not Who We Think They Are [Contrefaite : Écrite au nom de Dieu – Pourquoi les auteurs de la Bible ne sont pas ceux que nous pensons], « J'ai appris le grec, afin de pouvoir lire le Nouveau Testament dans sa version originale, » (p. 4)
Son diplôme de Wheaton obtenu, Ehrman alla au séminaire théologique de Princeton, où il étudia sous l’autorité de l'un des plus grands experts du monde en matière de Nouveau Testament grec, le regretté Bruce Metzger. Parmi les nombreuses contributions savantes de Metzger, son ouvrage indispensable, The Text of the New Testament: Its Transmission, Corruption and Restoration [Le texte du Nouveau Testament : Sa transmission, son altération et sa restauration], identifie trois catégories de sources disponibles permettant de confirmer le texte du Nouveau Testament : les manuscrits grecs, les traductions anciennes en d'autres langues et les citations du Nouveau Testament faites par les écrivains ecclésiastiques des origines, comme Augustin, Eusèbe, Tertullien et Marcion. (p. 36-89)
Le lecteur de ce livre apprendra, par exemple, que la partie la plus ancienne connue du Nouveau Testament représente quelques versets de Jean, écrits pendant la première moitié du deuxième siècle, soit environ un siècle après la crucifixion de Jésus.
Le lecteur apprendra aussi que les deux plus anciennes versions complètes rescapées du Nouveau Testament sont le Codex Sinaiticus et le Codex Vaticanus. Le Sinaïticus, une Bible grecque du IVème siècle découverte au milieu du XIXème siècle, contient non seulement le Nouveau Testament complet, mais aussi The Shepard of Hermas [Les bergers d’Hermès] et l'épître de Barnabé, des livres qui furent considérés pendant plusieurs siècles comme des parties du Nouveau Testament. Le Vaticanus est aussi une Bible grecque du IVème siècle, préservée dans la bibliothèque du Vatican depuis au moins 1475.
L’analyse du texte est devenue une nécessité du fait qu’environ 5.000 manuscrits grecs contenant le Nouveau Testament entier ou partiel ont été identifiés. Tel que l’exprime le professeur Metzger, « La nécessité d’analyser le texte des livres du Nouveau Testament résulte de deux circonstances : (a) aucun document original n’existe plus, et (b) les copies existantes diffèrent les unes des autres. »
(Ce sont des faits à garder à l'esprit quand certains partisans du sens explicite de la Bible, vraisemblablement incapables de lire le grec, vous racontent que le Nouveau Testament est infaillible.)
Ayant étudié sous la férule de Metzger et lisant tout ce dont il était capable, Ehrman renonça non seulement à sa croyance originale en l’infaillibilité de la Bible, mais il fut aussi forcé de conclure : « la Bible ne contient pas seulement des inexactitudes ou des erreurs accidentelles. Elle renferme aussi ce que pratiquement tout le monde qualifierait aujourd'hui de mensonges. » (p. 5) Tel qu’il l'affirme dans Forget, « Tout au long de ce livre, il deviendra tout à fait évident à partir des écrits anciens eux-mêmes que, même si la falsification était largement pratiquée, elle fut aussi largement condamnée et considérée comme une forme de mensonge. » (p. 36)
Du fait que 84 pour cent des Zuniens croient que la Bible est un livre saint, on pourrait penser qu’ils seraient ennuyés d’apprendre que la plupart des livres du Nouveau Testament sont des contrefaçons. Pourtant, chaque fois que j'ai rappelé les falsifications, erreurs ou contradictions du Nouveau Testament à l'attention d'un chrétien croyant en la Bible, il ou elle a eu invariablement recours à l'excuse : « Eh bien, c'est simplement une question de foi, n'est-ce pas ? »
Quand j’entends cette excuse, je réponds toujours : « Non ! Si c'était simplement une question de foi, je pourrais affirmer que mon téléphone portable est mon sauveur, et vous pourriez en faire tout autant. Vous croyez manifestement que votre foi en Jésus-Christ est supérieure à la mienne en mon téléphone cellulaire parce qu’elle repose sur près de deux mille ans de tradition légitimée par les histoires racontées dans le Nouveau Testament. » Les protestants sont encore plus focalisés sur ce livre car, depuis Martin Luther, il leur a été dit,
Sola Scriptura, (par l'Écriture seule).
Ce qui est pire, c'est la triste réalité du peu de chrétiens comprenant même ce paradoxe inquiétant : Si Jésus devait revenir aussi vite qu'il l’a prédit, personne n'aurait besoin d'un Nouveau Testament.
Vous souvenez-vous des passages bibliques suggérant le retour imminent de Jésus ? « En vérité je vous le dis, il en est d’ici présents qui ne goûteront pas la mort avant d’avoir vu le Royaume de Dieu venu avec puissance. » (Marc 9:1)
Ou bien cette espérance de Paul, selon qui lui et certains Thessaloniciens seront vivants au moment où l'apocalypse se produira. Rappelez-vous comment il oppose « ceux qui sont morts » à « nous les vivants, qui sommes restés pour l'avènement du Seigneur ? » (première épître aux Thessaloniciens 4:15, 17) (The New Testament, Bart D. Ehrman, p.314)
Manifestement, soit Jésus, soit Marc s’est trompé ; et c’est aussi le cas de Paul. Selon le professeur Ehrman, Paul « semble ne pas penser que ses paroles feront l’objet de débats après sa mort, et encore moins qu’elles seront lues et étudiées quelque dix-neuf siècles plus tard. » (Ibid)
Toujours est-il, « tandis que l'espoir du retour imminent du Christ commença à s'estomper au cours du siècle ultérieur, » les chrétiens commencèrent à réaliser qu'ils devaient créer des structures pouvant durer au moins une génération ou plus au milieu d'un monde de non-croyants. (Diarmaid MacCullough, Christianity: The First Three Thousand Years [Christianisme : Les trois premiers millénaires], p. 118)
Christianity: The First Three Thousand Years
Des structures ? Oui, les chrétiens tentèrent de créer une foi universelle établie sur : (1) une liste de textes sacrés convenus faisant autorité ; (2) la constitution d’un credo ; (3) l’établissement d'un sacerdoce faisant autorité (évêque, prêtre et diacre) (Ibid, p. 127-137)
Ainsi, comme le note Ehrman, « Depuis les origines, les chrétiens devaient demander aux autorités ce qu'ils devaient croire. » (Forged, p.7) « Bien sûr, l'autorité ultime était Dieu. Mais la majorité des chrétiens en vinrent à penser que Dieu ne parlait pas directement aux individus pour leur dire la vérité sur ce qu'il fallait croire. S'il l’avait fait, il y aurait eu d'énormes problèmes, car certains auraient revendiqué l’autorité divine de ce qu'ils enseignaient et d'autres l’auraient fait pour leur enseignement totalement opposé. C’est pourquoi, la plupart des chrétiens n'insistèrent pas sur la révélation personnelle à des individus vivants. » (Ibid)
Pourtant, ce fut précisément la nécessité d'établir l'autorité qui incita les chrétiens à contrefaire des parties des livres du Nouveau Testament, aussi bien que des livres entiers du Nouveau Testament, en prétendant faussement qu'elles furent écrites par Pierre, Paul ou Marc, par exemple.
Considérons, par exemple, le fait qu'aucune des deux plus anciennes versions complètes du Nouveau Testament (le Codex Sinaiticus et le Codex Vaticanus) ne contiennent les douze derniers versets que l'on trouve dans Marc aujourd'hui [*]. Selon le professeur Metzger, « Puisque Marc n'est pas responsable de la composition des douze derniers versets de son évangile en vigueur actuellement, et puisqu’ils lui ont sans aucun doute été annexés avant que l'Église ne reconnaisse la canonicité du quadruple évangile, il s'ensuit que le Nouveau Testament ne contient pas quatre, mais cinq récits d'événements évangéliques postérieurs à la Résurrection du Christ. » (p. 229)
[* Ndt : Le passage rajouté décrit les apparitions de Jésus ressuscité à ses proches. Il s’agit donc d’une « preuve » de la nature divine de Jésus.]
Le professeur Ehrman est moins diplomate. Il note simplement : « Celui qui a rajouté les douze derniers versets dans Marc n’a pas simplement fait une faute d’orthographe. » (p. 250) Quelqu'un a falsifié Marc afin de lui attribuer ces écrits.
Ehrman doute que la première et la deuxième épître de Pierre aient réellement été écrites par Pierre. Grâce à l’analyse de l'usage des mots qui ne devinrent largement usités qu’après la mort de Pierre, en 64, comme le mot codé désignant Rome, « Babylone, » qui entra en usage vers la fin du premier siècle, les érudits en sont venus à penser que les épîtres sont des faux. Par ailleurs, « d'excellentes raisons font penser que Pierre était incapable d’écrire. » (p. 70)
Considérons à présent les treize épîtres du Nouveau Testament dites écrites par Paul. Selon Ehrman : « Pratiquement tous les spécialistes conviennent que sept épîtres pauliniennes sont authentiques : aux Romains, première et deuxième au Corinthiens, aux Galates, aux Philippiens, première aux Thessaloniciens, et à Philémon. » Six sont probablement des faux : première et deuxième à Timothée, à Tite, deuxième aux Thessaloniciens, aux Éphésiens et aux Colossiens. (Le lecteur intéressé par la preuve servant à les catégoriser comme des faux doit se reporter aux pages 95 à 114 de Forged.)
C’est pourquoi le lecteur pourrait maintenant trouver ironique qu’il est affirmé en 3:16 du deuxième épître à Timothée, « Toute Écriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, réfuter, redresser, former à la justice. » Après tout, comme noté ci-dessus, la deuxième épître à Timothée est l'une des lettres pauliniennes que l’on pense aujourd’hui falsifiées.
Il y a tout aussi ironique, et plus amusant, dans le recours de Gary North, le principal promoteur de l'économie chrétienne, aux écritures contrefaites du Nouveau Testament. Comme l'a signalé récemment le New York Times, M. North croit non seulement que « la Bible s’oppose au travail organisé, et en particulier à l’organisation du travail d’employés publics, » mais il estime aussi qu'aucun forme d'aide gouvernementale « ne réchappera aux limites éthiques » de l’affirmation de l'apôtre Paul dans la deuxième épître aux Thessaloniciens, selon laquelle, « si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas non plus. » Étant un chrétien évangéliste, la pauvre âme ne soupçonne même pas que cette deuxième épître aux Thessaloniciens est un faux.
Sans le savoir, M. North et tous les chrétiens qui prennent le Nouveau Testament au pied de la lettre commettent une erreur de procédure désastreuse. Ils fondent leur code moral du bien et du mal sur la Bible avant de s’assurer de ce qui est vrai et faux en elle. « La vertu effective, comme Socrate le fit remarquer il y a longtemps, c’est la connaissance ; et toute règle du bien et du mal doit compter sur le discernement du vrai et du faux. » (Walter Lippmann,
Le Public fantôme, p. 20)
Le professeur Bart Ehrman ayant à présent révélé dans Forged que, « du premier siècle au XXème siècle, des gens qui se qualifièrent de chrétiens jugèrent bon de fabriquer, contrefaire, et falsifier des documents, dans la plupart des cas pour assurer l’autorité de ce qu'ils voulaient imposer aux autres, » la confusion procédurale des chrétiens n’a plus aujourd'hui d’excuse.
Walter C. Uhler est chercheur et écrivain indépendant. Il publie ses travaux dans de nombreuses publications, dont The Nation, le Bulletin of the Atomic Scientists, le Journal of Military History, Moscow Times et San Francisco Chronicle. Il est aussi président de Russian-American International Studies Association (RAISA). Il peut être contacté à l'adresse : waltuhler@aol.com.
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