Pourquoi l'Irak renonce à l'armement russe
Le premier ministre irakien Nouri al-Maliki a signé un contrat important pour l'acquisition de matériel militaire russe, notamment de systèmes sol-air, lors de sa visite en Russie au mois d'octobre.
Comme l'a annoncé le porte-parole du premier ministre, Maliki a ensuite nourri des soupçons de corruption autour de cette transaction lors de son retour.
Un nouveau roman policier commence : il a pour thème les livraisons d'armes russes en Irak. Le porte-parole du premier ministre irakien a déclaré samedi que ce dernier avait décidé d'annuler une importante transaction portant sur la livraison d’armes et de matériel militaire à Bagdad. Un contrat avait été signé pendant la visite de Nouri al-Maliki à Moscou, un mois auparavant. Selon son porte-parole, Maliki a eu des soupçons de corruption lors de son retour de Russie, ce qui a entraîné l’annulation du contrat. Une enquête est en cours.
Samedi soir pourtant, pendant une conférence de presse à Bagdad, le ministre irakien de la Défense Saadoun al-Dulaimi a déclaré que la transaction se déroulait "comme prévu". Et d’ajouter : "La situation autour du contrat pour la livraison d'armements russes - s'élevant à 4,2 milliards de dollars - s'éclaircira très probablement dans les jours à venir". Il est déjà possible d'analyser les causes de cette situation peu ordinaire.
D'après les informations rapportées par la presse à l'issue des entretiens de Nouri al-Maliki à Moscou, les parties avaient signé un accord pour la livraison de 30 hélicoptères d'attaque Mi-28 et de 42 systèmes sol-air Pantsir S-1. Si cette transaction avait effectivement lieu, elle serait la première depuis le renversement de Saddam Hussein et ferait de la Russie le deuxième fournisseur, derrière les Etats-Unis, de matériel militaire en Irak. L'ancien gouvernement avait dépensé au total plus de 30 milliards de dollars pour acheter des armes à l’URSS.
Les résultats des négociations menées en octobre entre la Russie et l'Irak avaient été presque exceptionnels. Sur fond de détérioration flagrante des relations entre Moscou et la majorité des pays arabes en raison du conflit en Syrie, Bagdad, qui adopte une position retenue au vu de sa proximité avec l'Iran, est une bonne opportunité pour la Russie de prouver sa capacité à maintenir sa présence dans la région. D'autant que le tournant de Bagdad vers Moscou représenterait un échec de la politique américaine en Irak.
Après avoir dépensé des milliards de dollars et perdu plusieurs milliers de soldats – contre des centaines de milliers de victimes côté irakien -, les Etats-Unis ont fécondé un Etat qui a établi des relations étroites avec le principal ennemi de Washington – l'Iran - et cherchant à adopter une position indépendante sur la majorité des questions. Officiellement, les dirigeants américains feignent d'ignorer les contacts entre Bagdad et Téhéran, bien que le congrès américain s'interroge sur les résultats de cette guerre qui a coûté très cher aussi bien au sens propre que figuré – du point de vue de la réputation de Washington.
Les nouvelles de Moscou ont poussé les journalistes américains à poser des questions perplexes à la porte-parole du département d'Etat américain, Victoria Nuland : pourquoi s'est-on battu si, aujourd'hui, ce pays fait des affaires avec un concurrent dangereux ? Pour toute réponse, la porte-parole a feint l'indifférence – ajoutant que les USA avaient trois fois plus de contacts avec l'Irak - et, évidemment, n'a rien pu dire d'autre. Taper de manière démonstrative sur les doigts d'un Etat souverain et lui interdire de mener des affaires avec un autre pays tout aussi souverain provoquerait un immense scandale.
Cependant, à en juger par les déclarations actuelles de Bagdad, les Etats-Unis sont soucieux de savoir avec qui le gouvernement irakien fait des affaires. On peut supposer que Maliki a fait l'objet d'une forte pression et qu’on lui a certainement expliqué qui devait rester le meilleur ami de l'Irak.
Sept années d'occupation ont montré que les USA n'arriveront par à maintenir Bagdad sous leur protectorat, bien que les stratèges américains aient réussi à maîtriser une explosion catastrophique de la violence en Irak au milieu des années 2000, tout en préparant les conditions nécessaires à une nouvelle structure politique. Malgré toutes les difficultés, les élections irakiennes furent tout à fait démocratiques : autrement dit, leurs résultats reflètent la répartition des forces et des préférences dans le pays. Toutefois, il s'est avéré qu'au Moyen-Orient, la population ne vote pas du tout pour ceux qui conviennent le mieux à Washington.
La majorité chiite d'Irak, réprimée à l'époque de Saddam Hussein, a opté pour ses coreligionnaires d’Iran. On ne peut tout de même pas considérer les autorités irakiennes actuelles comme des marionnettes de l'Iran mais il est clair que Maliki et son entourage écoutent la voix de Téhéran et de Qom. Le conflit syrien a montré que l'Irak comptait bien adopter une position indépendante des autres pays arabes. Ce n'est pas par hasard si Vladimir Poutine a déclaré, à l'issue de son entretien avec Nouri al-Maliki, que les positions de la Russie et de l'Irak sur la crise syrienne coïncidaient presque.
Le besoin de relations plus étroites avec la Russie s'explique, pour l’Irak, précisément par cette position intermédiaire entre divers camps régionaux. Les Etats-Unis attendent la loyauté de Bagdad et observent son ordre du jour avec un mécontentement croissant.
Les puissances arabes alliées contre Bachar al-Assad commencent à considérer Maliki comme une nouvelle formule de la "cinquième colonne" pro-iranienne. Et un virage définitif du côté de l'Iran serait lourd de conséquences pour Bagdad. Premièrement, la perte d'autonomie est peu agréable, même au profit d'un partenaire proche. Deuxièmement, les chiites d’Irak ne sont pas majoritaires et le gouvernement doit tenir compte du point de vue de tous pour la stabilité du pays.
Dans ces conditions, la Russie est une solution idéale. Moscou n'a pas d'ambitions politiques claires à l'égard de l'Irak et nul n'y aspire au modèle qui existait à l'époque de Saddam Hussein. La Russie souhaiterait seulement élargir ses marchés, d'autant que les changements en Libye et en Syrie réduisent sa marge de manœuvre. Pour ce faire, elle est prête à fournir un soutien politique.
Le printemps arabe a montré que la Russie n'était pas un acteur central au Moyen-Orient.
Ces événements ont toutefois mis en évidence que, sans la participation et le soutien du Kremlin, il n'était pas non plus possible de faire évoluer la situation. Quand on a besoin d'un balancier, il faut trouver un partenaire capable de stimuler tel ou tel scénario, à défaut de pouvoir renverser toute la situation. Et la Russie est une solution parfaite en ce sens.
Cependant, les intérêts extérieurs entrent également en jeu. Les Etats-Unis ne peuvent pas se permettre de perdre à nouveau l'Irak, qui récupère sa position de leader dans la production pétrolière mondiale. Une telle perte serait politiquement inadmissible et économiquement préjudiciable, d'autant que l'avenir d'autres puissances pétrolières de la région est bien plus incertain qu'il y a quelques années.
Washington cherche à persuader l'Irak, par tous les moyens, que seuls les Etats-Unis peuvent jouer le rôle d'un partenaire d'appui.
Il existe également un autre facteur dans les perspectives de coopération russo-irakienne – la question kurde. Le Kurdistan irakien est formellement subordonné à Bagdad mais les pleins pouvoirs appartiennent au Gouvernement régional du Kurdistan (GRK). Les autorités centrales réagissent très mal à tout accord conclu entre les compagnies étrangères et le GRK, que ce soit le russe Gazprom ou l'américain ExxonMobil. Il y a quelques jours, Bagdad a exigé d'une compagnie russe de renoncer à ses contrats avec le Kurdistan, menaçant de lui interdire l'exploitation du grand gisement de Badra.
Par ailleurs, Moscou attend la visite de Massoud Barzani, dirigeant du Kurdistan. La décision de Nouri al-Maliki pourrait donc être due à la volonté de montrer à la Russie son mécontentement en raison des contacts avec les Kurdes - mais là n'est certainement pas la cause principale de l’annonce irakienne car cette réaction est trop brusque et ses conséquences pourraient avoir l'effet inverse.
Moscou pourrait s'offusquer - c'est inévitable, étant donné l'importance des accords, le caractère offensant du refus et sa résonance médiatique - et activer davantage ses relations avec le Kurdistan.
Quant aux Kurdes, ils avancent doucement mais sûrement vers l'avant-scène de la politique moyen-orientale – leur éveil dans une Syrie en ébullition met la Turquie en position inconfortable et remet même à l'ordre du jour le thème du "plus grand peuple sur la planète" ne bénéficiant pas de "sa propre souveraineté".
Apparemment, un nouveau nœud de contradictions commence à se serrer autour de l'Irak et de son sort, alors qu'il semblait être tranché une bonne fois pour toutes par l'invasion américaine de 2003. Et la Russie devient à nouveau acteur d'un grand jeu géopolitique.
Comme l'a annoncé le porte-parole du premier ministre, Maliki a ensuite nourri des soupçons de corruption autour de cette transaction lors de son retour.
Un nouveau roman policier commence : il a pour thème les livraisons d'armes russes en Irak. Le porte-parole du premier ministre irakien a déclaré samedi que ce dernier avait décidé d'annuler une importante transaction portant sur la livraison d’armes et de matériel militaire à Bagdad. Un contrat avait été signé pendant la visite de Nouri al-Maliki à Moscou, un mois auparavant. Selon son porte-parole, Maliki a eu des soupçons de corruption lors de son retour de Russie, ce qui a entraîné l’annulation du contrat. Une enquête est en cours.
Samedi soir pourtant, pendant une conférence de presse à Bagdad, le ministre irakien de la Défense Saadoun al-Dulaimi a déclaré que la transaction se déroulait "comme prévu". Et d’ajouter : "La situation autour du contrat pour la livraison d'armements russes - s'élevant à 4,2 milliards de dollars - s'éclaircira très probablement dans les jours à venir". Il est déjà possible d'analyser les causes de cette situation peu ordinaire.
D'après les informations rapportées par la presse à l'issue des entretiens de Nouri al-Maliki à Moscou, les parties avaient signé un accord pour la livraison de 30 hélicoptères d'attaque Mi-28 et de 42 systèmes sol-air Pantsir S-1. Si cette transaction avait effectivement lieu, elle serait la première depuis le renversement de Saddam Hussein et ferait de la Russie le deuxième fournisseur, derrière les Etats-Unis, de matériel militaire en Irak. L'ancien gouvernement avait dépensé au total plus de 30 milliards de dollars pour acheter des armes à l’URSS.
Les résultats des négociations menées en octobre entre la Russie et l'Irak avaient été presque exceptionnels. Sur fond de détérioration flagrante des relations entre Moscou et la majorité des pays arabes en raison du conflit en Syrie, Bagdad, qui adopte une position retenue au vu de sa proximité avec l'Iran, est une bonne opportunité pour la Russie de prouver sa capacité à maintenir sa présence dans la région. D'autant que le tournant de Bagdad vers Moscou représenterait un échec de la politique américaine en Irak.
Après avoir dépensé des milliards de dollars et perdu plusieurs milliers de soldats – contre des centaines de milliers de victimes côté irakien -, les Etats-Unis ont fécondé un Etat qui a établi des relations étroites avec le principal ennemi de Washington – l'Iran - et cherchant à adopter une position indépendante sur la majorité des questions. Officiellement, les dirigeants américains feignent d'ignorer les contacts entre Bagdad et Téhéran, bien que le congrès américain s'interroge sur les résultats de cette guerre qui a coûté très cher aussi bien au sens propre que figuré – du point de vue de la réputation de Washington.
Les nouvelles de Moscou ont poussé les journalistes américains à poser des questions perplexes à la porte-parole du département d'Etat américain, Victoria Nuland : pourquoi s'est-on battu si, aujourd'hui, ce pays fait des affaires avec un concurrent dangereux ? Pour toute réponse, la porte-parole a feint l'indifférence – ajoutant que les USA avaient trois fois plus de contacts avec l'Irak - et, évidemment, n'a rien pu dire d'autre. Taper de manière démonstrative sur les doigts d'un Etat souverain et lui interdire de mener des affaires avec un autre pays tout aussi souverain provoquerait un immense scandale.
Cependant, à en juger par les déclarations actuelles de Bagdad, les Etats-Unis sont soucieux de savoir avec qui le gouvernement irakien fait des affaires. On peut supposer que Maliki a fait l'objet d'une forte pression et qu’on lui a certainement expliqué qui devait rester le meilleur ami de l'Irak.
Sept années d'occupation ont montré que les USA n'arriveront par à maintenir Bagdad sous leur protectorat, bien que les stratèges américains aient réussi à maîtriser une explosion catastrophique de la violence en Irak au milieu des années 2000, tout en préparant les conditions nécessaires à une nouvelle structure politique. Malgré toutes les difficultés, les élections irakiennes furent tout à fait démocratiques : autrement dit, leurs résultats reflètent la répartition des forces et des préférences dans le pays. Toutefois, il s'est avéré qu'au Moyen-Orient, la population ne vote pas du tout pour ceux qui conviennent le mieux à Washington.
La majorité chiite d'Irak, réprimée à l'époque de Saddam Hussein, a opté pour ses coreligionnaires d’Iran. On ne peut tout de même pas considérer les autorités irakiennes actuelles comme des marionnettes de l'Iran mais il est clair que Maliki et son entourage écoutent la voix de Téhéran et de Qom. Le conflit syrien a montré que l'Irak comptait bien adopter une position indépendante des autres pays arabes. Ce n'est pas par hasard si Vladimir Poutine a déclaré, à l'issue de son entretien avec Nouri al-Maliki, que les positions de la Russie et de l'Irak sur la crise syrienne coïncidaient presque.
Le besoin de relations plus étroites avec la Russie s'explique, pour l’Irak, précisément par cette position intermédiaire entre divers camps régionaux. Les Etats-Unis attendent la loyauté de Bagdad et observent son ordre du jour avec un mécontentement croissant.
Les puissances arabes alliées contre Bachar al-Assad commencent à considérer Maliki comme une nouvelle formule de la "cinquième colonne" pro-iranienne. Et un virage définitif du côté de l'Iran serait lourd de conséquences pour Bagdad. Premièrement, la perte d'autonomie est peu agréable, même au profit d'un partenaire proche. Deuxièmement, les chiites d’Irak ne sont pas majoritaires et le gouvernement doit tenir compte du point de vue de tous pour la stabilité du pays.
Dans ces conditions, la Russie est une solution idéale. Moscou n'a pas d'ambitions politiques claires à l'égard de l'Irak et nul n'y aspire au modèle qui existait à l'époque de Saddam Hussein. La Russie souhaiterait seulement élargir ses marchés, d'autant que les changements en Libye et en Syrie réduisent sa marge de manœuvre. Pour ce faire, elle est prête à fournir un soutien politique.
Le printemps arabe a montré que la Russie n'était pas un acteur central au Moyen-Orient.
Ces événements ont toutefois mis en évidence que, sans la participation et le soutien du Kremlin, il n'était pas non plus possible de faire évoluer la situation. Quand on a besoin d'un balancier, il faut trouver un partenaire capable de stimuler tel ou tel scénario, à défaut de pouvoir renverser toute la situation. Et la Russie est une solution parfaite en ce sens.
Cependant, les intérêts extérieurs entrent également en jeu. Les Etats-Unis ne peuvent pas se permettre de perdre à nouveau l'Irak, qui récupère sa position de leader dans la production pétrolière mondiale. Une telle perte serait politiquement inadmissible et économiquement préjudiciable, d'autant que l'avenir d'autres puissances pétrolières de la région est bien plus incertain qu'il y a quelques années.
Washington cherche à persuader l'Irak, par tous les moyens, que seuls les Etats-Unis peuvent jouer le rôle d'un partenaire d'appui.
Il existe également un autre facteur dans les perspectives de coopération russo-irakienne – la question kurde. Le Kurdistan irakien est formellement subordonné à Bagdad mais les pleins pouvoirs appartiennent au Gouvernement régional du Kurdistan (GRK). Les autorités centrales réagissent très mal à tout accord conclu entre les compagnies étrangères et le GRK, que ce soit le russe Gazprom ou l'américain ExxonMobil. Il y a quelques jours, Bagdad a exigé d'une compagnie russe de renoncer à ses contrats avec le Kurdistan, menaçant de lui interdire l'exploitation du grand gisement de Badra.
Par ailleurs, Moscou attend la visite de Massoud Barzani, dirigeant du Kurdistan. La décision de Nouri al-Maliki pourrait donc être due à la volonté de montrer à la Russie son mécontentement en raison des contacts avec les Kurdes - mais là n'est certainement pas la cause principale de l’annonce irakienne car cette réaction est trop brusque et ses conséquences pourraient avoir l'effet inverse.
Moscou pourrait s'offusquer - c'est inévitable, étant donné l'importance des accords, le caractère offensant du refus et sa résonance médiatique - et activer davantage ses relations avec le Kurdistan.
Quant aux Kurdes, ils avancent doucement mais sûrement vers l'avant-scène de la politique moyen-orientale – leur éveil dans une Syrie en ébullition met la Turquie en position inconfortable et remet même à l'ordre du jour le thème du "plus grand peuple sur la planète" ne bénéficiant pas de "sa propre souveraineté".
Apparemment, un nouveau nœud de contradictions commence à se serrer autour de l'Irak et de son sort, alors qu'il semblait être tranché une bonne fois pour toutes par l'invasion américaine de 2003. Et la Russie devient à nouveau acteur d'un grand jeu géopolitique.
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