Sécurité renforcée pour les travailleurs intérimaires
Un joli cadeau offert par la chambre supersociale de la Cour de cassation aux intérimaires : l’entreprise utilisatrice doit tenir à leur disposition, dès la prise de fonction, tout le matériel nécessaire à leur sécurité. Le moindre manquement est un procès gagné devant le conseil des Prud'hommes. (Cour de cassation, chambre sociale, 30 novembre 2010, n° 08-70390)
Un travail dangereux
Une société a fait appel à des intérimaires pour l'exécution d'un marché de carrossage de 300 camions citernes inox, destinés à l'armée de terre. Un marché qui comprenait un travail dangereux pour les soudeurs inox, par le risque d'exposition aux fumées de soudage. Selon les préconisations du médecin du travail, il avait été prévu de mettre à la disposition des soudeurs des masques à adduction d'air et de les soumettre à un suivi médical d'exposition.
Ce suivi a été impeccable : visite d’embauche le 22 mars, prise de travail le 29 mars, et premier examen par analyse d’urine le 9 avril 2004. Problème : le taux de chrome était alors anormalement haut, sans lien logique avec les 10 jours passés au travail, et alors que le salarié ne présentait aucun des signes de l’intoxication, notamment sur le plan respiratoire. Décision est prise de poursuivre le contrat, avec le masque. Un mois plus tard, le 10 mai, un nouvel examen montre un taux en légère baisse, mais toujours trop élevé. Le médecin du travail ne se prononce pas sur la cause, mais dans le cadre préventif qui est le sien, et il déclare le salarié inapte à son poste le 18 juin 2004, ce qui conduit à la fin de la mission.
Le salarié n’effectue pas de déclaration d’accident du travail ou de maladie professionnelle.
Le conseil des Prud'hommes
Le salarié saisit le conseil des Prud’hommes, demandant des dommages et intérêts à l’encontre de l’entreprise utilisatrice pour manquement à son obligation de sécurité.
Par jugement du 8 mars 2006, la juridiction se déclare incompétente au profit du tribunal des affaires de sécurité sociale, estimant que l’affaire ne peut être saisie que sous l’angle de la maladie professionnelle.
La cour d'appel
Le salarié fait appel et la cour se déclare compétente : le salarié peut demander des dommages et intérêts à l’employeur qui a manqué à son obligation de sécurité. Par un arrêt du 19 Juin 2007, elle missionne un médecin expert pour disposer d’explications sur l’apparition de ce taux.
Dans son rapport déposé le 17 septembre 2007, l’expert ne parvient pas expliquer ce taux qui a si vite atteint des sommets, pour s’y stabiliser. Il envisage deux types d’explications.
La première est celle d’une contamination qui pourrait être antérieure, mais rien ne l’établit, ou massive dans les jours précédents l’examen. Mais cela n’explique pas la stabilité du taux avec le port du masque entre les deux prélèvements, et surtout, on ne trouve pas les signes cliniques.
La seconde est une pollution de l'échantillon d'urine lors de son prélèvement. Cette dernière hypothèse est la plus vraisemblable, car depuis la procédure a été changée, avec des taux à la baisse.
Enfin, on relève deux autres cas de suspicion de contamination pour l'ensemble des salariés exposés au risque, mais avec des taux plus faibles, redevenus à la normale un mois après.
La cour d’appel, par un arrêt du 29 avril 2008, va homologuer les conclusions de l’expert. Le taux n’est pas expliqué par la durée d’exposition, et en l’absence de signes cliniques affectant la santé, on ne peut retenir l’intoxication. Par ailleurs, le dossier montre que le risque était connu, que l’employeur avait défini des préconisations, notamment par un suivi médical. La première visite avait eu lieu à dix jours de l’embauche. Le masque à adduction d'air n’avait certes été fourni qu’après cette visite, mais un mois après le dosage de chrome était presque aussi élevé, le port du masque n’ayant rien changé.
La Cour de cassation
Le salarié saisit la Cour de cassation.
La base est l’article L. 4121-1 du Code du travail. Un texte net et précis, d’autant plus important qu’il est interprété par la jurisprudence comme créant une obligation de sécurité de résultat.
« L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
« Ces mesures comprennent :
« 1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;
« 2° Des actions d'information et de formation ;
« 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
« L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes ».
Pendant la durée de la mission, l'entreprise utilisatrice est responsable des conditions d'exécution du travail, notamment pour ce qui a trait à la santé et la sécurité au travail (Code du travail, art. L. 1251-21). A ce titre, elle est tenue à l'égard des salariés mis à disposition d'une obligation de sécurité de résultat dont elle doit assurer l'effectivité.
Aussi, la cour d’appel n’avait pas à entrer dans les discussions relatives à la diminution des taux de chrome et à l'absence d'intoxication du salarié. Un risque d'exposition aux fumées de soudage avait été identifié en prévention duquel des masques à adduction d'air devaient être mis à la disposition des soudeurs : la seule circonstance qu'un tel masque n'ait pas été fourni au salarié dès le début de sa mission constitue un manquement de l'entreprise utilisatrice à son obligation de sécurité de résultat causant nécessairement un préjudice au salarié.
Procès gagnant pour les intérimaires
La solution paraitra sévère, car illogique : l’intoxication à l’occasion du travail n’est pas prouvée, et le port du masque pendant un mois n’a pas modifié le taux. Moralement, l’employeur peut s’estimer clean. Et pourtant, le voici rattrapé par l'obligation de sécurité de résultat.
Il n’est plus nécessaire de prouver la faute ou même le lien de causalité, et c’est pour cela que le salarié, très bien conseillé par son avocat, ne s’était pas placé sur le terrain de la maladie professionnelle devant le tribunal des affaires de sécurité sociale. Non, il suffit de constater que l’obligation de sécurité de résultat n’a pas été respectée.
En pratique, l’entreprise qui a recours à du personnel intérimaire doit lui remettre dès le premier jour le matériel de sécurité nécessaire. Si ce matériel n’est pas là, c’est ticket gagnant devant le Conseil des prudhommes.
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